Frances B. Johnston, African American students in mattress-making class, Tuskegee Institute, 1902 - L'Encyclopédie, vignette de la planche : éventailliste, Planches, Tome IV, 1765 |
Frances B. Johnston : Équations et figures
Frances B. Johnston, Five men making butter in a class at Hampton Institute, Hampton,1899 - L'Encyclopédie, vignette de la planche : Perruqier, Barbier, Planches, Tome VIII, 1771 |
Frances B. Johnston, Printing press room, Carlisle Indian School, Carlisle, 1901 - L'Encyclopédie, vignette de la planche : Imprimerie en lettres, Planches, Tome VII, 1769 |
Si la photo peut être comparée à la vignette de la planche encyclopédique, elle n'est pas juxtaposée aux dessins des objets isolés et figés dans leur essence. Le monde des objets est devenu accessoire et c'est la mécanique collective qui est montrée et illustrée. L'accent mis sur l'observation des détails qui constituait le bas des planches est intégré à l'image de par la nature même de la photographie par essence descriptive.
L'Encyclopédie, vignette de la planche : Boulanger, Planches, Tome II, 1763L'Encyclopédie, vignette de la planche : Pâtissier, Planches, Tome VIII, 1771 |
Voici une planche de métier (le pâtissier) : en bas, l'ensemble des instruments variés, nécessaires à la profession; dans cet état paradigmatique, l'instrument n'a aucune vie : inerte, figé dans son essence, il n'est qu'un schème démonstratif (...) ; en haut, au contraire, le fouet, le hachoir (les pâtissiers faisaient des pâtés en croûte), le tamis, la bassine, le moule sont dispersés, enchaînés, « agis » dans un tableau vivant, exactement comme les «cas» distingués par la grammaire sont ordinairement donnés sans qu'on y pense dans le discours réel, à cette différence près que le syntagme encyclopédique est d'une extrême densité de sens; en langage informationnel, on dira que la scène comporte peu de «bruits».
La vignette, chargée d'un sens disséminé, se présente toujours un peu comme un rébus : il faut la déchiffrer, repérer en elle les unités informatives. Du rébus, la vignette a la densité même : il faut que toutes les informations rentrent de force dans la scène vécue (d'où, à la lecture, une certaine exploration du sens) ; (...) l'image est bourrée de significations démonstratives (...)
Cependant la vignette, condensé de sens, offre aussi une résistance au sens, et l'on peut dire que c'est dans cette résistance que paradoxalement le langage de la planche devient un langage complet, un langage adulte. Il est en effet évident que pour un lecteur de l'époque la scène elle-même comporte souvent très peu d'informations neuves : qui n'avait vu une boutique de pâtissier, une campagne labourée, une pêche en rivière ? La fonction de la vignette est donc ailleurs : le syntagme (puisque c'est de lui qu'il s'agit) nous dit ici, une fois de plus, que le langage (à plus forte raison le langage iconique) n'est pas pure communication intellectuelle : le sens n'est achevé que lorsqu'il est en quelque sorte naturalisé dans une action complète de l'homme ; pour L'Encyclopédie aussi, il n'y a de message qu'en situation.
La vignette n'a pas seulement une fonction existentielle mais aussi, si l'on peut dire, épique ; elle est chargée de représenter le terme glorieux d'un grand trajet, celui de la matière, transformée, sublimée par l'homme, à travers une série d'épisodes et de stations. (…) L'Encyclopédie témoigne donc constamment d'une certaine épopée de la matière, mais cette épopée est aussi d'une certaine façon celle de l'esprit : le trajet de la matière n'est autre chose pour l'encyclopédiste, que le cheminement de la raison : l'image a aussi une fonction logique.
On le voit, la poétique encyclopédique se définit toujours comme un certain irréalisme. C'est la gageure de l'Encyclopédie (dans ses planches) d'être à la fois une œuvre didactique, fondée en conséquence sur une exigence sévère d'objectivité (de « réalité ») et une œuvre poétique, dans laquelle le réel est sans cesse débordé par autre chose (l'autre est le signe de tous les mystères).
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