dimanche 6 février 2011

Un piège temporel

Denis Roche, 21 juillet 1973. Ravello, Italie, Hôtel Palumbo, chambre 18.

Denis Roche, 30 juillet 1972. Propriano, Corse, Hôtel Marinca, chambre 21.

Denis Roche, 31 juillet 1975. Negombo, Sri Lanka.

Denis Roche : ...Là où je prenais une photo, j'étais. Même devant une nature morte, j'étais. Il fallait que ce soit dit et montré. J'ai même tenu à insister sur ces fractions de temps dans lesquelles nous nous tenions : ainsi, dans certains des autoportraits, je m'arrangeais pour que la prise me surprenne en train d'aller prendre position à côté de Françoise -- qui, elle, était toujours fixe et centrée dans l'image -- où en train de revenir vers l'appareil photo, comme si je ne maîtrisais plus qu'en partie la prise photographique, histoire qu'on comprenne bien que l'image, dans certains cas, pouvait être vue comme un piège temporel, dans lequel je me débattais.

Gilles Mora : C'est ce que vous avez appelé les "allers et retours dans la chambre blanche", dans un texte publié dans la revue Créatis. Assez tôt me semble-t-il ?

Denis Roche : Oui. C'est un texte que j'avais écrit peu après mon voyage au Mexique, dons sans doute début 1979. J'y exprimais comme une volonté éperdue de ma part d'entrer dans la photo -- je pourrais reprendre ici le mot "panique", qui convenait parfaitement à cet état d'esprit jubilatoire et inquiet, d'angoisse offensive même. Il fallait tout le temps que j'aille dedans et que j'en revienne, comme s'il fallait chaque fois que j'en rapporte une preuve de réalité nouvelle, une de plus, encore et encore. L'image que je cadrais dans le viseur avant de mettre en route le déclencheur à retardement était comme une paix du monde réel que j'allais essayer encore une fois de rejoindre, une eau paisible et lisse qu'il était indispensable d'aller troubler. La photo devait apporter la preuve (j'insiste sur ce mot) de cet aller et retour. (...)

Extrait de Denis Roche, La photographie est interminable, entretien avec Gilles Mora, 2007, éditions du Seuil.


...Il m'est arrivé aussi de photographier un appareil dormant, comme on le dit d'un espion potentiel appelé un jour à être activé... (Denis Roche)


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