lundi 18 septembre 2017

2 échelles

figure 1
W. H. Fox Talbot, La Meule de foin, calotype, avril 1844
Anonyme (US Air Force), L'Echelle et l'ombre dite de Hiroshima, 1945
figure 2
W. H. Fox Talbot, La Meule de foin, calotype, avril 1844 (carte postale)
L'Echelle et l'ombre imprimée, musée de la bombe atomique, Nagasaki
La raison de cette association entre ces deux images si différentes par ailleurs à tout point de vue n'est pas difficile à trouver : c'est par la voie d'un objet qu'elles ont en commun - une échelle - et par la position de cet objet dans le cadre que les deux images se rencontrent et que l'une a l'air du fantôme de l'autre. Un siècle, tout juste, sépare ces deux échelles, mais ce que j'ai à raconter ou à sonder, ce n'est pas un lent voyage qui irait de 1844 à 1945, c'est au contraire un télescopage, un brusque resserrement autour d'une origine : par conséquent un ensemble de traits ou, pour parler comme Benjamin, une constellation, qui a à voir avec l'essence de la saisie photographique.

La tentation était grande - et j'y ai cédé - de produire tout de suite le rapport, de le montrer, de montrer - le jeu de mots s'imposant ici tout seul - ce rapport d'échelles, de montrer le passage d'une échelle claire et de son ombre noire à une échelle blanche et spectrale (figure 1) puis encore le passage de celle-ci à une ombre absolue, sorte d'écho sans source (figure 2). Mais de quelque manière que l'on fasse circuler le sens entre ces épreuves, toutes positives, un pur et terrible négatif apparaît derrière l'ombre : c'est originairement, innocemment même, que la saisie photographique, née de la lumière, renferme en elle un point noir, et c'est ce point noir qui scelle le montage inopiné des séquences, de la campagne anglaise au Japon en ruines.

A tout cela je reviendrai, nous reviendrons. Il y a du temps, et très précisément celui d'un développement, pour filer à propos de l'écriture la métaphore de l'opération toujours en retrait de la photographie : ce que je cherche, au fond, c'est à faire venir l'image latente qui est déposée entre ces deux (ou trois) images, qui va de l'une à l'autre, comme pour dire qu'en toute image développée, effective, une image latente survit encore et se propage.

Jean-Christophe Bailly, L'Instant et son ombre, Seuil, 2008

7 échelles : ici

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