samedi 21 novembre 2009

Rodney Graham, Ferdinand de Saussure

 Rodney Graham, Welsh Oaks (#1), 1998, photographie 121,9 x 91,4 cm

Rodney Graham, Allegory of Folly: Study for an Equestrian Monument in the Form of a Wind Vane, 2005
Assis sur un cheval mécanique (utilisé par les jockeys pour leur entraînement), Rodney Graham lui-même, habillé à l'ancienne, enfourche sa monture à l'envers et lit un épais volume (le bottin téléphonique de Vancouver!). Cette représentation fait référence au portrait que fit Hans Holbein le jeune d'Érasme de Rotterdam, l'auteur du fameux traité L'Éloge de la Folie.

(…) Psychologiquement, abstraction faite de son expression par les mots, notre pensée n'est qu'une masse amorphe et indistincte. Philosophes et linguistes se sont toujours accordés à reconnaître que, sans le concours des signes, nous serions incapables de distinguer deux idées d'une façon claire et constante. Prise en elle-même, la pensée est comme une nébuleuse où rien n'est nécessairement délimité. Il n'y a pas d'idées préétablies, et rien n'est distinct avant l'apparition de la langue.

En face de ce royaume flottant, les sons offriraient-ils par eux-mêmes des entités circonscrites d'avance ? Pas davantage. La substance phonique n'est pas plus fixe ni plus rigide ; ce n'est pas un moule dont la pensée doive nécessairement épouser les formes, mais une matière plastique qui se divise à son tour en parties distinctes pour fournir les signifiants dont la pensée a besoin. Nous pouvons donc représenter le fait linguistique dans son ensemble, c'est-à-dire la langue, comme une série de subdivisions contiguës dessinées à la fois sur le plan des idées confuses (A) et sur celui non moins indéterminé des sons (B) ; c'est ce qu'on peut figurer très approximativement par le shéma :

Le rôle caractéristique de la langue vis-à-vis de la pensée n'est pas de créer un moyen phonique matériel pour l'expression des idées, mais de servir d'intermédiaire entre la pensée et le son, dans des conditions telles que leur union aboutit nécessairement à des délimitations réciproques d'unités. La pensée, chaotique de sa nature, est forcée de se préciser en se décomposant. Il n'y a donc ni matérialisation des pensées, ni spiritualisation des sons, mais il s'agit de ce fait en quelque sorte mystérieux, que la "pensée-son" implique des divisions et que la langue élabore ses unités en se constituant entre deux masses amorphes. Qu'on se représente l'air en contact avec une nappe d'eau : si la pression atmosphérique change, la surface de l'eau se décompose en une série de divisions, c'est-à-dire de vagues ; ce sont ces ondulations qui donneront une idée de l'union, et pour ainsi dire de l'accouplement de la pensée avec la matière phonique.(.…)
Ferdinand de Saussure, Cours de linguitique générale, 1916

"(…) Je tenais à cette idée des arbres isolés, difficiles à trouver en Colombie-Britannique, où il n'y a que des forêts. J'y voyais une image emblématique, quelque chose que l'on verrait dans un manuel sur la notion d'inversion en général, pour illustrer le mécanisme optique de l'oeil. Je me suis intéréssé à ce genre de motif schématique archétypal, j'ai réalisé une œuvre avec le Cours de linguistique générale de Saussure, où un arbre illustre la distinction entre le signifié et le signifiant. J'ai créé un étui à la Donald Judd pour un rare exemplaire de l'édition original suisse découvert par un de mes amis. (…)" 

Rodney Graham

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