Michel François, installations dont au Mac’s, Grand Hornu, 2012 |
En
1994, Ann Veronica Janssens et moi étions sélectionnés pour la Biennale de Sao
Paulo. Mais au lieu d’une plaquette sur nous, nous avons demandé à utiliser
l’argent pour une image à diffuser gratuitement aux visiteurs. C’est celle avec
des photos recto-verso, d’un crâne de petit enfant brésilien et de l’autre
côté, un trou dans le sable. Dès le départ, ce furent des images muettes
n’illustrant qu’elles-mêmes. Les photos choisies avaient une ambivalence. Comme
celle-ci avec un enfant qui renifle une fleur ressemblant à un lys et qui
semble gober son visage. C’est une "datura", un poison. Ou alors
cette photo de drapeau noir déchiré prise sur une rizière du Vietnam, c’était
un épouvantail mais le drapeau acquiert une autre existence. Des images qui se
suffisent à elles-mêmes. J’aime quand une photo peut nous séduire tout en
ouvrant une possibilité de drame. Comme cet enfant qui nage dans la mer à Cuba.
La photo a l’air douce mais cette fille est habillée et elle est au travail,
elle va plonger pour arracher des coquillages. Sur cette photo, on voit une
main avec dessus, un jouet en forme de lapin, une image ludique, mais la main
est celle d’un prisonnier que j’avais rencontré dans un travail que j’avais
réalisé dans une prison hollandaise. Sur celle-là, on voit un corps maigre, nu,
sans tête, mais couvert de petits paquets de drogues collés à lui. C’est un
"passeur", un trafiquant de drogues comme il y en a au Mexique, mais
en même temps, il est comme un danseur folklorique.
Michel François |
Les
46 photographies faites jusqu’ici, font toutes 120x180 cm, une taille d’homme.
C’est aussi le format maximal qu’un imprimeur peut faire. L’affiche est un
complément à mon métier de sculpteur, mais elle y est liée puisque je suis
toujours préoccupé par la question de l’image. Ces tas sont aussi des
sculptures temporaires qui vont petit à petit fondre comme les sculptures que
j’ai faites en savon et qui, elles aussi disparaissaient à l’usage. Ce qui se
présente comme une masse, comme une puissance qui surgit, contient en même
temps sa prochaine évaporation.
Mes
affiches sont distribuées sans signature, ni copyright, ni indications. Au
début, je les collais en rue et les gens étaient intrigués. J’aime bien
affirmer cette interprétation ouverte des images alors que la plupart des
images qu’on croise viennent illustrer un article ou un propos, ou elles
accompagnent un discours. Si je mettais mon nom sur ces affiches, elles
deviendraient une publicité pour moi. Je voulais laisser les images seules face
à ceux qui les regardent. J’ai déjà vu ces photos affichées chez des gens qui
ne savaient pas que c’était moi qui les avais faites. Il fut un temps où, si on
me le demandait, je les signais, mais je ne le fais plus depuis que certains
les ont immédiatement mises en vente sur Internet.
Le
budget d’une telle exposition est cher mais ne dépasse pas celui de la
production normale d’une exposition. J’avais l’idée de laisser les gens libres
de prendre toutes les affiches qu’ils voulaient mais Laurent Busine a eu peur
que les tas ne se vident trop vite et a voulu limiter à trois affiches maximum
par visiteur.
Pour
la photo, la création intervient davantage dans le choix que lors de la prise
de vue. Pour une exposition, je cherche dans les photos déjà prises et parfois
je choisis une photo ancienne de dix ans. Je prends peu de photos.
Propos
tirés d'un entretien entre Guy Duplat et Michel François au cours de
l'exposition proposée en 2012, par le Mac’s au Grand Hornu. Dans les grandes
salles, 45 palettes de bois, celles d’un entrepôt, avec chaque fois, dessus,
une pile de mille affiches géantes. Ces tas forment des blocs, des rochers, des
sculptures de papier vouées à disparaître avec le temps, puisque les visiteurs
peuvent en emporter, trois affiches maximum. Aux murs, les mêmes affiches sont
montrées en salves cinématographiques, en "mur", accolées tête-bêche,
ou accouplées l’une à l’autre en des appariements qui créent une nouvelle
image. Ces affiches sont empilées et distribuées sans indication aucune, sans
nom, sans titre, sans date. Au total, 45000 affiches, soit 14 tonnes de papier.
"Cette pièce demande la
participation du public pour exister. C'est une sculpture non-statique, toujours en évolution, elle peut disparaître, mais en
même temps, elle est indestructible car elle peut toujours être réimprimée.
C'est une tentative pour créer une œuvre d'art plus démocratique. Une pièce
publique."
Félix Gonzalez-Torres |
Felix Gonzalez-Torres, 1993
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