mardi 23 février 2016

Sol, mur, plafond (3) Michel François

Michel François, installations dont au Mac’s, Grand Hornu, 2012
En 1994, Ann Veronica Janssens et moi étions sélectionnés pour la Biennale de Sao Paulo. Mais au lieu d’une plaquette sur nous, nous avons demandé à utiliser l’argent pour une image à diffuser gratuitement aux visiteurs. C’est celle avec des photos recto-verso, d’un crâne de petit enfant brésilien et de l’autre côté, un trou dans le sable. Dès le départ, ce furent des images muettes n’illustrant qu’elles-mêmes. Les photos choisies avaient une ambivalence. Comme celle-ci avec un enfant qui renifle une fleur ressemblant à un lys et qui semble gober son visage. C’est une "datura", un poison. Ou alors cette photo de drapeau noir déchiré prise sur une rizière du Vietnam, c’était un épouvantail mais le drapeau acquiert une autre existence. Des images qui se suffisent à elles-mêmes. J’aime quand une photo peut nous séduire tout en ouvrant une possibilité de drame. Comme cet enfant qui nage dans la mer à Cuba. La photo a l’air douce mais cette fille est habillée et elle est au travail, elle va plonger pour arracher des coquillages. Sur cette photo, on voit une main avec dessus, un jouet en forme de lapin, une image ludique, mais la main est celle d’un prisonnier que j’avais rencontré dans un travail que j’avais réalisé dans une prison hollandaise. Sur celle-là, on voit un corps maigre, nu, sans tête, mais couvert de petits paquets de drogues collés à lui. C’est un "passeur", un trafiquant de drogues comme il y en a au Mexique, mais en même temps, il est comme un danseur folklorique.

Michel François
Les 46 photographies faites jusqu’ici, font toutes 120x180 cm, une taille d’homme. C’est aussi le format maximal qu’un imprimeur peut faire. L’affiche est un complément à mon métier de sculpteur, mais elle y est liée puisque je suis toujours préoccupé par la question de l’image. Ces tas sont aussi des sculptures temporaires qui vont petit à petit fondre comme les sculptures que j’ai faites en savon et qui, elles aussi disparaissaient à l’usage. Ce qui se présente comme une masse, comme une puissance qui surgit, contient en même temps sa prochaine évaporation.
Mes affiches sont distribuées sans signature, ni copyright, ni indications. Au début, je les collais en rue et les gens étaient intrigués. J’aime bien affirmer cette interprétation ouverte des images alors que la plupart des images qu’on croise viennent illustrer un article ou un propos, ou elles accompagnent un discours. Si je mettais mon nom sur ces affiches, elles deviendraient une publicité pour moi. Je voulais laisser les images seules face à ceux qui les regardent. J’ai déjà vu ces photos affichées chez des gens qui ne savaient pas que c’était moi qui les avais faites. Il fut un temps où, si on me le demandait, je les signais, mais je ne le fais plus depuis que certains les ont immédiatement mises en vente sur Internet.

Le budget d’une telle exposition est cher mais ne dépasse pas celui de la production normale d’une exposition. J’avais l’idée de laisser les gens libres de prendre toutes les affiches qu’ils voulaient mais Laurent Busine a eu peur que les tas ne se vident trop vite et a voulu limiter à trois affiches maximum par visiteur.

Pour la photo, la création intervient davantage dans le choix que lors de la prise de vue. Pour une exposition, je cherche dans les photos déjà prises et parfois je choisis une photo ancienne de dix ans. Je prends peu de photos.

Propos tirés d'un entretien entre Guy Duplat et Michel François au cours de l'exposition proposée en 2012, par le Mac’s au Grand Hornu. Dans les grandes salles, 45 palettes de bois, celles d’un entrepôt, avec chaque fois, dessus, une pile de mille affiches géantes. Ces tas forment des blocs, des rochers, des sculptures de papier vouées à disparaître avec le temps, puisque les visiteurs peuvent en emporter, trois affiches maximum. Aux murs, les mêmes affiches sont montrées en salves cinématographiques, en "mur", accolées tête-bêche, ou accouplées l’une à l’autre en des appariements qui créent une nouvelle image. Ces affiches sont empilées et distribuées sans indication aucune, sans nom, sans titre, sans date. Au total, 45000 affiches, soit 14 tonnes de papier.
Félix Gonzalez-Torres
 "Cette pièce demande la participation du public pour exister. C'est une sculpture non-statique, toujours en évolution, elle peut disparaître, mais en même temps, elle est indestructible car elle peut toujours être réimprimée. C'est une tentative pour créer une œuvre d'art plus démocratique. Une pièce publique."



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