lundi 19 décembre 2011

Trois films de Etienne O'Leary

Ces trois films sont l'oeuvre complète de Etienne O'Leary, ... arrivée jusqu'à nous car si peu projetées, jusqu'à aujourd'hui.




Que ça soit bien filmé, mal filmé, surexposé, flou, on s’en foutait, ce n’était pas ça l’important. L’important, c’était de se servir de la caméra comme on se serait servi d’un porte-plume pour écrire des poèmes. Nous étions tous fauchés. Etienne avait la chance d’avoir une petite Beaulieu 16 mm à remontoir, il fallait retendre le ressort, ce qui donnait une autonomie de 30 secondes, pas davantage. C’est d’ailleurs avec cette caméra que j’ai tourné une partie de Satan bouche un coin. Par manque de fric, on achetait de la pellicule inversible, et c’était donc l’original que nous projetions, et qui forcément se dégradait peu à peu. Du reste, ce qui a sauvé les films d’Etienne, et le fait qu’ils existent encore aujourd’hui, c’est qu’ils n’ont pas été projetés pendant très longtemps, et que quelqu’un a eu la très bonne idée de les déposer à la cinémathèque de Montréal.
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Il ne travaillait qu’en inversible, il ne montait pas ses films, c’était du tourné-monté. Sa caméra lui permettait d’effectuer des retours en arrière et de faire de l’image par image. Donc il filmait en prenant de vagues repères, il revenait en arrière, il cachait l’objectif avec sa main, des fois c’était la moitié de l’objectif avec des caches en carton qu’il avait fabriqués, et il tournait comme ça, avec plein de petits truquages élémentaires à la Méliès, c’était une sorte de réinvention du cinéma primitif. Et c’était l’insolence et la liberté à l’état brut, et c’était formidable.
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Etienne filmait ce qui se passait sous ses yeux, mais il pouvait parfois diriger aussi. Alors qu’il filmait partout, dans la rue, chez des amis, au bistrot, il lui arrivait de demander à quelqu’un de refaire un geste, de reprendre une pose de la manière qu’il souhaitait. Ce n’était pas un simple instantané. C’était une mise en scène primitive, un peu comme chez les frères Lumière organisant la sortie des leur usine avant de la filmer.
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Etienne n’était pas seulement cinéaste, mais également musicien et peintre. Il avait un ancêtre du synthétiseur, un clavier avec lequel il composait ses musiques de films. Il était fasciné par Stockhausen. Nous avons assisté ensemble à des concerts de lui, mais aussi de Xenakis et de Pierre Henri, qui l’ont totalement bouleversé. Il était aussi très marqué par Yves Klein.
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Etienne et moi avons eu envie de regagner Paris par petites étapes, par le chemin des écoliers. Nous nous arrêtions dans des petits patelins, des villages. Nous entrions dans le premier bistrot venu pour demander s’il y avait un projecteur 16mm quelque part, et si oui, nous organisions aussitôt une projection sur place. On demandait au patron du bistrot d’en parler à un maximum de gens, on rameutait les jeunes, et deux heures après il y avait toujours entre 8 et 30 personnes qui venaient voir nos films. On a même fait une séance dans une usine occupée.

Extrait de l'entretien de Didier Morin avec Jean-Pierre Bouyxou dans la revue Mettray, septembre 2010

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