dimanche 4 novembre 2012

Archéologie de la photographie (5) La Couleur

Françoise Goria, Archéologie de la photographie (5) La Couleur 1992-2012
cibachromes sur pvc, 120 x 160 cm

Exposition au Musée d'Art Moderne, Paris, 1992
exposition Galerie Meyer, Marseille, 2001

jeudi 18 octobre 2012

Dix minutes dans le noir

Philippe Migeat, les artistes Anri Sala et Gabriel Orozco, série Dix minutes dans le noir, 1998-2012
Les modèles se sont rendus dans le studio pour une séance photographique faite dans l’obscurité totale pendant dix minutes. Photographe et le modèle sont entièrement plongés dans le noir sans dialogue. Dans ce face-à-face aveugle nulle intervention du langage seules les pensées pouvaient peut-être se rencontrer. Après ce laps de temps, un court, mais puissant, éclair de flash est déclenché. Cette lumière intempestive envahie, enveloppe, embrasse, le visage du modèle pour rendre les traits d’une personnalité presque absente.

Ce que je recherchais à travers cette obscurité c’est faire perdre au modèle les repères du monde réel, faire abstraction de l’espace environnant, pour mieux capter non seulement les traits, mais l’état d’esprit de la personne en ce moment précis. Dans le noir, les personnes ne peuvent pas poser, dans le sens classique du terme, car tout regard, miroir extérieur est absent; il reste alors une sorte état d’âme apprivoisé par la lumière soudaine.

Dans la "Chambre Claire", Roland Barthes disait à un moment donné : "Je voudrais en somme que mon image, mobile, cahotée entre mille photos changeantes, au gré des situations, des âges, coïncide toujours avec mon "moi". Ma quête dans ce travail est peut-être photographier ce "moi" de tout un chacun, tout ce qui dépasse les simples traits physiques, les contours de chaque visage portraituré. Je voudrais que l’âme transpire dans la photo. Philippe Migeat

Auguste Sander,  Homme du XXe siècle, Types et personnages de la grande ville, Photographe (August Sander) 1925 et Directeur du Musée de cire 1930

August Sander a presque exclusivement travaillé en lumière naturelle. Il utilisait pour ses portraits une durée d'exposition réglable de deux à huit secondes. Dans une revue de 1924, voilà comment il présente les avantages d'une exposition longue pour les portraits : " ...Si le souhait de travailler avec des temps de pose aussi courts que possible est certainement justifié pour des raisons techniques, un bon nombre de facteurs esthétiques plaident contre les expositions courtes. Un éclairage plus long évite cet aspect agard et figé que l'on a suffisamment l'occasion de voir sur les photos tirées de films; par les léger mouvements de surface liés à la respiration, cela donne plus de vie."

Deux façons d'utiliser la durée dans un dispositif de prise de vue.

lundi 15 octobre 2012

La vue regardée

Descartes, La Dioptrique, 1637
KeplerPlanche d’Astronomiae Pars Optica, 1604 
Harun Farocki, Images du monde et inscription de la guerre, 1988

"...si, prenant l’œil d’un homme fraîchement mort, ou, au défaut, celui d’un bœuf ou de quelque autre gros animal, vous coupez dextrement vers le fond les trois peaux qui l’enveloppent, en sorte qu’une grande partie de l’humeur M, qui y est, demeure découverte, sans qu’il y ait rien d’elle pour cela qui se répande ; puis, l’ayant recouverte de quelque corps blanc, qui soit si délié que le jour passe au travers, comme, par exemple, d’un morceau de papier ou de la coquille d’un œuf, RST, que vous mettiez cet œil dans le trou d’une fenêtre fait exprès, comme Z, en sorte qu’il ait le devant, BCD, tourné vers quelque lieu où il y ait divers objets, comme V, X, Y, éclairés par le soleil ; et le derrière, où est le corps blanc RST, vers le dedans de la chambre, P, où vous serez, et en laquelle il ne doit entrer aucune lumière, que celle qui pourra pénétrer au travers de cet œil , dont vous savez que toutes les parties, depuis C jusques à S, sont transparentes. Car, cela fait, si vous regardez sur ce corps blanc RST, vous y verrez, non peut-être sans admiration et plaisir, une peinture, qui représentera fort naïvement en perspective tous les objets qui seront au dehors vers VXY..." René Descartes, La Dioptrique, 1637

Le sujet de la gravure de Descartes est : la vue regardée.1 Un oeil extérieur, le personnage barbu, regarde l'image se former dans un oeil expérimental. Il regarde l'oeil fonctionner. Il regarde le mécanisme de la vue. Nous, lecteur de la Dioptrique de Descartes, que voyons-nous ? Un montage. Le shéma de la coupe d'un oeil géant, posé à l'endroit de la surface de contact entre un espace blanc et un espace noir + dans le noir, la tête de l'observateur, dessinée en perspective, barbue + dans le blanc, le dessin mathématique des lignes virtuelles de la projection oculaire. Nous ne voyons pas l'homme regarder une image mais nous le voyons regarder la vue même. Et la vue, en temps que mécanisme sensible, ne peux être restituée que par un montage hétérogène qui combine dessin abstrait et naturaliste.

La page blanche, en haut, comme lieu de la démonstration, lieu de l'écriture et du calcul s'organise à partir d'une réserve noire obscure hachurée, en bas, qui est le lieu de l'observation de l'image projetée. Et le petit personnage, depuis ce qui est un intérieur et un dessous, garde les yeux rivés sur le lieu d'apparition de l'image : sur le linge blanc de la rétine.

1-Victor Stoïchita, l'instauration du tableau, 1999, Droz

Herbert Bayer, Diagram extended field of vision, 1935 
Anthony McCall, Long Film for Four Projectors, 1974, Installation view, Solid light installation in five-and-a-half-hour cycles, Four 16 mm film projectors, two haze machines, dimensions variables
Anthony McCall, Line Describing a Cone, 1973, Installation view at the Musée de Rochechouart, 2007, Solid light installation, 30 minutes, 16 mm film projector, haze machine, dimensions variables

jeudi 4 octobre 2012

Montage / démontage


Montage d'une chambre photographique très opérationnelle par le photographe Cary Norton : la Legotron. Elle s'utilise avec des plans films 4x5 inch montés dans un chassis. A l'avant, une optique 127 mm d'occasion. Deux boîtes qui coulissent l'une dans l'autre permettent de faire les réglages. Un verre dépoli amovible à l'arrière pour le contrôle de l'image.

Démontage en règle d'un appareil numérique par André Gunthert.

jeudi 27 septembre 2012

Archéologie de la photographie (4) La Mesure


Françoise Goria, Archéologie de la photographie (4) La Mesure 1991-2012
photogrammes sur aluminium

lundi 24 septembre 2012

Leçon d'économie (1) Eric Rohmer


André S. LABARTHE,  "Rohmer, preuves à l’appui"... par plugoff

Éric Rohmer, devant la caméra d'André S. Labarthe, montre à Jean Douchet le matériel lumière qu'il utilise. 

- 2 "valises", une noire et une rouge
- des "calques" blancs et bleus
- 2 mandarines 800 watts avec leurs pieds
- 1 lampe
- un pied
- un tube lumineux de 1000 watts
- des multiprises
- 1 rallonge
- 1 projecteur caméra
- 1 carton à dessin tapissé d'aluminium

samedi 22 septembre 2012

technique / a-technique


Joachim Mogarra, Concetto spaziale, 1994
Harun Farocki, Still Life, film 56mn, 1997

François Brunet, La naissance de l'idée de photographie, puf, 2000
Vilem Flusser, Pour une philosophie de la photographie, Circé, 1996
François Brunet s'attache à montrer comment, alors que la photographie, considérée d'abord comme une invention, implique la notion de technique (appareils, procédés...), son processus de divulgation, au xixéme siècle, a été  accompagné par la propagation d'une idée qui vient contredire son statut technique. C'est ce qu'il appelle l'idée de photographie. Selon cette idée, l'image photographique est essentiellement naturelle et a-technique. Elle relèverait de la "reproduction spontanée" des objets de la nature. Ce serait donc un art sans techné, une "peinture solaire" dont chacun peut se saisir : "Le plus maladroit fera des dessins aussi exactement qu'un artiste exercé." La photographie sera donc par excellence un art démocratique. Art sans art, art pour tous.

Vilém Flusser montre comment la photographie fait partie des images techniques produites par des appareils. L'objectivité apparente des images techniques est illusoire et dangereuse. Elles sont tout aussi symboliques que les images traditionnelles mais d'une façon beaucoup plus abstraites car elles sont des métacodes de textes qui signifient non pas le monde du dehors mais d'autres textes. Le codage des images techniques a lieu à l'intérieur du complexe "appareil-opérateur", complexe qui demeure caché : "black box". C'est cet intérieur qu'il faut élucider pour ne pas rester analphabètes de l'image. Les photographies non déchiffrées apparaissent comme reproduisant les états de choses du monde du dehors comme si elles s'étaient reproduites "d'elles-mêmes" sur une surface. En l'absence d'un point de vue critique les photographies s'acquittent de leur tâche : programmer magiquement le comportement de la société dans l'intérêt des machines.


Paratodos, photo Goria, 1998
Il faut que la photographie soit un art démocritique.

dimanche 16 septembre 2012

Il "apporte son corps".


Photographie de Raoul Hausmann en danseur par August Sander, 1929 
Photographie (sans titre 1927-1933)
et photogrammes (sans titre1950) de Raoul Hausmann 
Coupure de presse, 1926, Le Superdada danse l'Oxfordhose




Nous ne sommes pas des photographes

" (...) Notre vision, formée par l'art, doit symboliser les relations spatiales des corps. Comme en plastique ou en peinture nous ne pouvons reproduire que relativement la pénétration réelle de la vision vivante ; nous devons nous résigner aux limites de leurs formes d'expression. Nous ne pouvons pas nous restreindre à une méthode, aussi séduisante soit-elle ; qu'elle soit basée sur la géométrie euclidienne, la perspective ou les formules arbitraires de l'expressionisme ou du futurisme. Ce sont là des problèmes de la photographie, plus exacte et plus juste que notre oeil qui devrait être vivant et dynamique.
La vision, quand elle est créatrice, est la configuration des tensions et des distensions des relations essentielles d'un corps, que ce soit homme, bête, plante, pierre, machine, partie ou entité, grand ou petit : elle n'est jamais le centre froidement et mécaniquement vu. Mais, par les dimensions de l'espace, elle est réduite à l'essence qui appartient aux choses ou aux corps. Elle est contraste qui nécessite son complément. La mécanique morte ou notre vue déterminée par Newton n'est ni la vision, ni la perception, mais la division du phénomène optique vivant et dynamique en rubriques classifiées, en multiples catégories et notions. (...)
Nous n'avons pas des yeux pour pouvoir voir où se trouve notre possession - voir veut dire, reconnaître dans l'esprit, percevoir dans toutes les directions.
Non, nous ne sommes pas et ne voulons pas être des photographes !"
Raoul Hausmann, extrait du Manifeste de 1921, traduction de Raoul Hausmann

Je commence par ne pas photographier

"Si je vois quelque chose à l'extérieur, dans la rue par exemple, je ne le photographie pas. Ainsi, je peux chercher et rechercher une chose  mais ne pas la photographier. C'est seulement une petite différence en réalité. L'événement présent disparaît en tant que photographie, il s'évanouie en tant que photographie potentielle, elle n'a pas lieu, mais il ne disparaît pas, car je suis le photographe. Alors ce que je fais là est encore de la photographie, ça fait partie de mon processus. Je le mémorise vraiment et ensuite toute l'affaire est de traiter avec cette mémoire. (...)" Jeff Wall



"Un jour il était photomonteur, l'autre peintre, le troisième pamphlétaire, le quatrième dessinateur de mode, le cinquième éditeur et poète, le sixième „optophonéticien“ et le septième il se reposait avec son Hannah." dit Hans Richter de son ami Raoul Hausmann.

Jeff Wall quant à lui est toujours photographe même quand il ne photographie pas. Photographier est pour lui un processus bien plus large que le maniement de l'appareil, qui inclus d'autres actes et à l'intérieur duquel la mémoire est clef.

Chez les deux artistes il s'agit de ne pas se rendre à l'évidence mécanique de leur outil. L'un et l'autre "apporte son corps" comme dit Maurice Merleau-Ponty citant Paul Valéry.

Il faut apporter son corps à la photographie.


vendredi 7 septembre 2012

Film blanc



Dans son livre Films, Paul Graham rend hommage au support physique de la photographie : le film. Alors qu'il scannait ses négatifs en vue des tirages pour sa rétrospective à la Whitechapel Gallery, il a scanné aussi les endroits du film non exposés à la lumière et donc non dédiés à l'image. Bouts des films, zones intermédiaires entre les images... Film blanc comme on dirait bruit blanc. Délaissé car non porteurs d'informations, non mis en forme. Il s'avère que ce bout de celluloïd non exposé contient effectivement toutes les couleurs comme la lumière blanche. En constellations de nature différentes suivant la marque et la nature du film (négatif, positif, noir et blanc). Paul Graham s'adonne ici à une photographie d'une autre sorte, proche peut-être de la photographie générative de Gottfried Jäger par exemple. "La dynamique propre du matériau donne à ces travaux leur caractère plastique...". Mais ici il semble que la photographie argentique se laisse ausculter par les machines numériques. C'est le branchement de l'une sur l'autre qui produit les images que nous voyons. Celles-ci en effet résultent du scan du film mais aussi des possibilités de saturation et surtout de rééchantillonnage permises par le logiciel de traitement d'images. Obtiendrait-on ces mêmes globules colorés en agrandissant avec un agrandisseur ou même un microscope. Je ne crois pas. La puissance d'abstraction de l'outil numérique est ici à l'oeuvre. La même que dans le film d'Antonioni Blow Up. S'ajoute une certaine dimension élégiaque. En semblant s'approcher de la matière même du film, le photographe fabrique des couleurs bruyantes aux contours étalés, des images de matière, bel et bien éloignées de la texture fine et granuleuse des films argentiques. Le photographe règle les échelles, les distances d'approche, les lignes de traversée, sachant d'emblée que le matériau initial (le film) est, depuis la première opération (le scan), éliminé.
fg

Il faut brancher ensemble tous les outils de la photographie.

lundi 20 août 2012

Intelligence liquide

Jeff Wall, Milk, 1984 - The Drain, 1989 - The Flooded Grave, 1998–2000 - Volunteer 1996


Je vois ceci parfois comme une confrontation entre ce que l'on pourrait appeler "l'intelligence liquide" de la nature et le caractère vitrifié et relativement "sec" de la photographie comme forme instituée. L'eau joue un rôle essentiel dans la fabrication des photographies, mais il faut la contrôler avec précision, l'empêcher de déborder des espaces et des moments qui lui sont réservés dans le processus de fabrication, ou bien l'image sera détruite. Vous ne pouvez certainement pas accepter qu'il y ait de l'eau dans votre appareil photo, par exemple!
L'eau représente donc pour moi, sur un plan symbolique, un archaïsme. (...) Cet archaïsme de l'eau, des produits chimiques liquides, relie la photographie au passé, au temps, de manière significative. Quand je dis que l'eau est un "archaïsme", je veux dire quelle porte la trace et la mémoire de processus de production très anciens - du lavage, du blanchissage, de la dissolution, etc., qui se rapportent aux origines de la techné - tels que la séparation des minerais dans les exploitations minières primitives, par exemple. Dans ce sens, l'écho de l'eau en photographie évoque sa préhistoire. Je crois que cette image "préhistorique" de la photographie (...) peut nous aider à comprendre différemment ce qu'il y a de "sec" dans la photographie. Ce "sec", je l'identifie avec l'optique et la mécanique, avec l'objectif et l'obturateur de l'appareil, du projecteur, de l'agrandisseur. Cette part de la photographie est d'ordinaire associée à la capacité technologique particulière de la prise de vue, à la nature balistique ou projectile de la vision quand elle est augmentée et intensifiée par le verre (l'objectif) et par la machinerie (obturateur). Ce type de vision moderne a été, dans une large mesure, coupé de la sensation d'immersion dans l'incalculable que j'associe à "l'intelligence liquide". (...)
Il devient clair maintenant que les systèmes d'information électroniques et digitaux, produits par la vidéo et les ordinateurs, vont remplacer la pellicule photographique (...) il y aura un nouveau déplacement de l'eau dans la photographie. (...)
Dans la photographie, le liquide nous observe, même de très loin.

Jeff Wall, Photographie et intelligence liquide, 1989, dans Essais et entretiens, 1984-2001 Ecole Nationale Supérieur des Beaux-Arts, 2001

Pour l'exposition Universelle de 1900, Louis Lumière utilisa un écran géant humidifié pour permettre aux spectateurs de voir l'image projetée depuis les deux côtés de la salle.

Lentilles liquides
La lentille liquide adapte sa focale en modifiant sa forme. Comme le fait notre oeil. Elle permet d'adapter l'optique aux systèmes miniaturisés, pour les caméras numériques par exemple. Ici, c'est l'interface entre deux liquides de même densité qui détermine le réglage autofocus.

Il faut que l'eau se déplace dans le processus photographique.