lundi 18 juin 2012

Retour de l'imprimerie

Vendredi 15 juin, nous avons suivi le callage du n°4 du journal Picturediting à l'imprimerie Delort à Toulouse.

Imprimer
1- Faire ou laisser une empreinte, une marque, des traits,... sur quelque chose.
2- Passer la planche encrée et couverte de la feuille sur la table de la presse, de telle sorte que l'encre de la planche s'attache au papier et y reproduise la figure gravée.
3- Empreindre sur une surface des lettres fondues ou gravées et chargées d'encre; et par extension, faire tous les travaux nécessaires pour la confection d'un livre.
4- Terme de peinture. Coucher une première couleur qui sert de fond à celle qu'on doit mettre ensuite pour faire un tableau.
5- Imprimer le mouvement. En parlant du mouvement, de la vitesse, etc. qu'un corps communique à un autre corps.

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lundi 11 juin 2012

Picturediting#4, le journal

Le journal Picturediting #4 est réalisé dans le cadre du cours de photographie de Françoise Goria, en 3e année, en collaboration avec Catherine Guiral et Christine Sibran. Ont participé à l'événement et à ce numéro :

Camille Lévêque Jego
Julie Biesuz
Eloïsa Paz
Ninon Lemonnier
Laura Rives
Léa Pagès
Léa Hodencq
Benoît Sanfourche
Laure Frauciel
Abtin Sarabi
Violaine Gaspard
Inga Goetze
Aloÿse Mendoza
Liis Lillo

L’événement Picturediting a eu lieu dans le Palais des Arts, à l’école des beaux-arts de Toulouse, les 22 et 23 avril 2012, en collaboration avec Marion Muzac, département danse et David Legrand, cours de ciné-vidéo.

Avec les danseuses : Loraine Begard, Joy Borg, Marianne Dufour, Charlotte Huleu, Constance Moureaux,  AgatheThévenot, Liya Operon.

et les filmeurs : Iris Rossiquet, Céleste Gand, Charles Smith, Abtin Sarabi, Amy Maga, Matthieu Haberard, Alexandre Lapostolle, Naraid Kuapunyakoon, Laura Mudge. 
et les photographies de Christelle Nisin et Margaux Berrard.

mercredi 6 juin 2012

Une table est une table

Sandro Botticelli, Saint Augustin dans sa cellule, 1490
Picasso, Pains et compotier aux fruits sur une table, 1909, 164 x 132 cm
La frontalité du tableau de Botticelli fabrique du secret. Qu'y a t'il sur la table ? La table réduit à une pure épaisseur devient le lieu du mystère. Un épais mystère. Saint Augustin doit soulever le livre pour rendre visible le geste de l'écriture. C'est le corps du saint qui est présent sous les différents aspects liés à son activité : les deux coudes sur la table (la table monte (où sont les pieds ?) et vient se placer sous eux, elle "souvient" aux coudes comme diraient Francis Ponge), les deux genoux dans la partie inférieure, la masse des plis colorés dans la grisaille de l'architecture.

Le temps est étagé verticalement. "Table" du sol, visible elle, sur lequel sont éparpillés les fragments de papier d'une pensée passée, déchirée. Pensée reformulée dans l'épaisseur du mystère de la table active frontalement. En haut, l'auréole est prise dans la perspective circulaire de l'alcôve. Un avenir éternel. Mystère, le rideau qui peut cacher la scène ou sur un mouvement de paupières nous soumettre au regard du personnage; la porte, ouverte/fermée par la perspective, barrée par la table, dont on ne sait pas où elle va ; les yeux baissés.
Picasso dispose les objets sur la table, là où il y avait des personnages dans "Carnaval au bistrot". Des pains pour des bras, un bol pour une main, une pomme pour une autre main, un compotier à la place d'un buste, reste une jambe pourtant sous la table. Le plan circulaire rabattu, comme une rallonge, à l'avant plan, marque la surface du tableau où la table se dresse et où les objets nous sont offerts. Là nous regardons, nous relions, nous évaluons la place des choses et leur connivence. (fg)

Picasso, Carnaval au bistrot, 1909
Une cuillère, c'est pour prendre, et les objets empêchent de voir à travers la table basse. Le plateau est en verre, à la hauteur des coussins des banquettes, au niveau des genoux. Pour le nettoyer, soulever chaque objet l'un après l'autre, passer le chiffon, et les reposer de manière à ce qu'ils soient tous maintenant disposés comme ils s'étaient alors retrouvés, la soucoupe à côté du crayon.
Pascal Poyet, Un Sens facétieux, 2012, éditions cipM/Spectres Familiers
 
Un lit est un lit, une chaise est une chaise : il n'y a pas de relation entre eux tant qu'ils ne servent qu'à ce à quoi ils servent. Sans relation, pas d'espace, car l'espace n'existe qu'ouvert, suscité, rythmé, élargi par une corrélation des objets et un dépassement de leur fonction dans cette structure neuve. L'espace est en quelque sorte la liberté réelle de l'objet, sa fonction n'est que sa liberté formelle.
Jean Baudrillard, Le Système des objets, 1968, Gallimard 
 
Voici ma table, et plus loin le piano ou le mur, ou encore une voiture arrêtée devant moi est mise en marche et s'éloigne. Que veulent dire ces mots ? Pour réveiller l'expérience perceptive, partons du compte rendu superficiel que nous en donne la pensée obsédée par le monde et par l'objet. Ces mots, dit-elle, signifient qu'entre la table et moi il y a un intervalle croissant que je ne puis voir d'où je suis, mais qui se signale à moi par la grandeur apparente de l'objet. C'est la grandeur apparente de la table, du piano et du mur qui, comparée à leur grandeur réelle, les met en place dans l'espace. (...) Mais si je peux remonter de la grandeur apparente à sa signification, c'est à condition de savoir qu'il y a un monde des objets indéformables, que mon corps est en face de ce monde comme un miroir et que, comme l'image du miroir, celle qui se forme sur le corps écran est exactement proportionnelle à l'intervalle qui le sépare de l'objet.
Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, 1945, Gallimard
 
Joseph Kosuth, one and three tables, Protoinvestigations, 1965
Matthias Schaller, Apostolic Almoner, Purple Desk, 2006

lundi 21 mai 2012

Ouvrir l'Objet (3) : Ice

Francis Alÿs, Paradoxe de la pratique, Parfois faire quelque chose mène à rien, 1997

Le nouveau statut de l'objet ne rapporte plus celui-ci à un moule spatial, c'est-à-dire à un rapport forme-matière, mais à une modulation temporelle qui implique une mise en variation continue de la matière autant qu'un développement continu de la forme. Dans la modulation, "il n'y a jamais arrêt pour démoulage, parce que la circulation du support d'énergie équivaut à un démoulage permanent ; un modulateur est un moule temporel continu... Mouler est moduler de manière définitive, moduler est mouler de manière continue et perpétuellement variable"*.(*Gilbert Simondon, L'individu et sa genèse physico-biologique, Puf)

Gilles Deleuze, Le Pli, éditions de Minuit, 1988


Les séquences "Ouvrir l'Objet" reproduisent les écrans à partir desquels les séances du cours de photographie se font. Le propos de chaque séance est de développer (sens photographique) le contenu des écrans. Ce sont des montages de photographies hors-format. Ce sont des montages dialectiques parfois éclectiques à l'intérieur desquels des images entretiennent les unes avec les autres des séries de liens faibles. Le contenu d'un écran n'est pas la somme des pistes offertes par les images mais à l'intérieur du cheminement proposé par ces photographies (que réactivent les liens ci-dessous) la possibilité de détours, de hors-sujet, d'association d'idées, de déclics, d'emportements, d'égarements, bref la possibilité de laisser la place à ce qui arrive au fil d'un temps de parole collectif partagé et qui constitue la saveur particulière de ce que nous appelons : le cours. Peut-on atteindre (selon le mot de Roland Barthes) un montage idiorrythmique ?

Patrick Tosani, L'équilibriste, 1983, 170 x120 cm
Patrick Tosani, Le plongeur, 1982, 170 x120 cm
Dörte Eissfeldt, Schneeball, 1988, 61 x51 cm, papier baryté
Dörte Eissfeldt, Flash Paintings
Eva Fiore Kovacovsky, Frozen Still Life, 2005, 60 x 75 cm, C-print
Irving Penn, Frozen Foods, 1977
Simone Decker, Glaçons, 2001

David Hammons performing ‘Bliz-aard Ball Sale,1983, Cooper Square, New York City

Pour une prise, il faut quelque chose de solide à proximité.

mercredi 9 mai 2012

Deux niveaux


Espace du texte  
L'Amour fou, André Breton, 1937, Gallimard, p 38 et 39, p 40 et 41

J'observe en passant que ces deux trouvailles que Giacometti et moi faisons répondent à un désir qui n'est pas un désir quelconque de l'un de nous, mais bien un désir de l'un de nous auquel l'autre, en raison de circonstances particulières, se trouve associé. Je dis que ce désir plus ou moins conscient (...) n'entraîne de trouvaille à deux qu'autant qu'il est axé sur des préoccupations communes typiques. Je serais tenté de dire que les deux individus qui marchent l'un près de l'autre constituent une seule machine à influence amorcée. La trouvaille me paraît équilibrer tout à coup deux niveaux de réflexion très différents, à la façon de ces brusques condensations atmosphériques dont l'effet est de rendre conductrices des régions qui ne l'étaient point et de produire les éclairs.
André Breton, l'Amour fou


Espace de la photographie
L'Amour fou, André Breton, 1937, Gallimard, p 38 et 39, p 40 et 41

mardi 1 mai 2012

Travail caché



Cet appareil ne prend pas la photo, il la décrit. C'est la Descriptive Camera inventée par Matt Richardson. Appuyer sur le bouton, attendre entre 3 et 6 minutes et l'appareil imprime une description de la scène visée. A l'intérieur de l'appareil il y a une webcam qui capte l'image et une imprimante thermique qui imprimera le texte.
Comment ça marche. L'image est envoyée via internet à Amazon's Mechanical Turk, un service d'exploitation du travail humain, où un employé pour un coût modique décrit la scène qui lui est soumise. Le nom de ce service de Amazon fait référence au premier automate joueur d'échecs au 18e siècle : un nain caché dans une caisse actionnait astucieusement un mannequin portant cape et turban.
Pour l'instant. La traduction à distance de l'image produit un décalage cocasse et interroge sur la façon de lire et d'interpréter les formes, sur le ton de la phrase. Donnant même des idées pour accentuer finalement l'incompréhension et l'écart entre une réalité complexe et la lecture d'une de ses images forcément partielle. L'indigence textuelle contraste avec la sophistication croissante des images numériques d'aujourd'hui.
Pour quoi faire. L'analyse (humaine) de l'image produit des métadonnées, lesquelles permettent d'associer des tags à l'image. Le recours à l'analyse de l'image par l'homme est transitoire (car coûteuse) et on peut imaginer que bientôt des systèmes mécaniques d'analyse des visages et des objets (via les données gratuites de facebook par exemple) permettront très efficacement d'indexer les images, de les référencer et de les trier. Cet appareil (photo ?) participe d'un dispositif de collecte de données. La bataille des données. Ce sont les données qui seront monnayables (donc utiles) et l'image doit être traduite (un texte verdict ?).
Doit-on comprendre que la part irréductible de l'image sera ce qui sera capable de déjouer ce dispositif. 
Il faut revendiquer l'image comme une profanation
(C'est-à-dire comme un acte  capable de restituer à l'usage commun ce qui en est soustrait.)

mercredi 25 avril 2012

Ampoules, seaux, bonbonnes et abat-jour


Photographies de Bill Culbert 
Sun Frosted Bulb, 1992 (nb 40x40 cm) - Sun Lit Bulb, 1992 (nb 40x40 cm) - The Last Incandescent Light Bulb, 2009 (glass, light bulb, box 30 x 12 cm) - Sun, Glass/Wine, 1992 (nb 40x40cm) -Vin Real, 1996 (RC-print 41 x 41 cm) - Wine Bonbonne with oak tree, 2002 (RC-print 41 x 41 cm) - Winework, 1992 (nb, épreuve unique, 183x183 cm)





La lumière est l'instrument de Bill Culbert. Son sujet et son matériaux à la fois. Source et objet. Sources de lumière et objets, ampoules, néons, soleil. Son objet théorique est-il l'abat-jour ? Lui qui renverse la perspective et articule la lumière

Photographies de Bill Culbert
Sunset I, 1990 (couleur, épreuve unique, 100x150 cm)- Wine glass with window, 2005 (RC-print 41 x 41 cm) - Wine Bonbonne, 2002 (RC-print 41 x 41 cm) - Bulb shadow I, 1975 (nb 19x19 cm) - Sunset III, 1992 (couleur, épreuve unique, 100x150 cm)

"Des récipients, des réceptacles, des brocs, des verres... La qualité réfléchissante du verre évoque un fluide. La lumière elle-même est fluide, à sa façon de glisser sur les surfaces. Mais contrairement aux liquides, elle ne subit pas la contrainte de la pesanteur... La fenêtre agit comme l'ouverture d'un diaphragmme : c'est un lieu de passage de la lumière...
A mesure que l'ombre avance, elle devient plus grande. C'est tout le contraire de ce que l'on voit quand on regarde par la fenêtre. La lumière renverse la perspective. Lorsqu'une lumière projette une image, les dimensions de celle-ci croissent avec la distance. Un jour, je me suis trouvé à une table avec une vingtaine de personnes. Peut-être même une trentaine ou une cinquantaine de chaque côté de la table. On passait un film. Il y avait donc un projecteur à un bout de la table. A l'autre bout, la lumière du projecteur agrandissait réellement l'image, alors que les gens devenaient de plus en plus petits. La lumière équilibrait le champ de vision. C'était passionnant."
Extrait de l'entretien de Bill Culbert avec Yves Abrioux dans le catalogue Entre chien et loup, frac Limousin, 1995

 Abat-jour / Seau, 1992 (9 photographies couleur, 40 x60 cm)

"Un seau est quelque chose de directionnel : il contient un liquide et il le verse. L'abat-jour qui a presque la même forme que le seau sert à articuler la lumière. A la canaliser. Je m'en suis souvent servi ; des ossatures d'abat-jour aussi. Ce sont des choses qui impliquent réellement l'espace, comme le Space Modulator de Moholy-Nagy, par exemple, ou son Space Light Machine. L'abat-jour est un modulateur d'espace. Je peux me débarrasser de la lampe et me servir de l'ossature. C'est quelque chose de très beau et qui paraît intemporel. Les abat-jour ressemblent à des vaisseaux spatiaux ; ils ont l'air d'avoir quelque chose à voir avec l'avenir. Peut-être ont-ils toujours eu cette allure. Regardez-les, prenez-les entre vos mains : cette forme conique se rattache à notre physiologie."
Extrait de l'entretien de Bill Culbert avec Yves Abrioux dans le catalogue Entre chien et loup, frac Limousin, 1995

Bill Culbert, Cascade, bidons platiques et tubes fluorescents, 1986

vendredi 6 avril 2012

Picturediting#4, Palais des arts

Picturediting#4, 22 et 23 mars 2012, avec les étudiants en photographie et en vidéo et les étudiants de l'unité danse de l'école des beaux-arts et du spectacle vivant de Toulouse.

Documents Photographiques de Léa Pagès et Julie Biesuz

Pendant deux jours Picturediting a ouvert, dans le Palais des Arts, de l'Ecole des Beaux-arts de Toulouse l'espace du montage d'images et de l'exposition à la présence des filmeurs et des danseurs. Il s'agissait de combiner le mouvement des images, leur montage et leur déplacement (du sol au mur), la pensée des photographes élaborant un espace commun, leurs gestes aussi, avec le mouvement des caméras et celui des danseurs. Tous travaillaient ensemble autour de ces objets, physiques, que sont les photographies.

Investissant le même lieu, danseurs, filmeurs et photographes ont tenté de reconfigurer l'espace investi aussi par le public. L'espace de circulation des corps et des appareils dans lequel l'attroupement des spectateurs redessinait parfois une "scène" était traversé par les mouvements d'appareils, chariots roulants, patins à roulettes, échafaudage brisant la masse compacts des visiteurs, redistribuant l'espace en constellations momentanément non hiérarchisées.

Prise de son que l'on regarde, photo que l'on écoute se dérouler, mouvement d'un corps qui dédouble une image ou s'installe sous un trépied.

C'est un ballet d'un genre nouveau qui a eu lieu là. En trois mouvements : accrochage, exposition, démontage. Avec un final somptueux qui a révélé le vide et la puissance des corps. Ce ballet était exécuté par des danseurs mais aussi par des photographes conscients, soudain, du poids réel de leurs images et par des filmeurs expérimentant toutes les façons de glisser pour exécuter un travelling.

Voilà l'enjeu, que la puissance des uns révèlent aux autres un potentiel d'action et de perception. Et réciproquement.


Les photographies de l'événement sont visibles :
sur la galerie de Léa Pagès
sur la galerie de Julie Biesuz

mercredi 4 avril 2012

Géographie concrète


Xavier Ribas, Incidents (détails), 2005
La Telefónica Foundation à passé commande, en décembre 2005, à huit photographes, d'un travail sur le futur site du nouveaux quartier général de l'entreprise, à Madrid. Le site était encore en construction.
Xavier Ribas a réalisé une série de 50 photographies : Incidents (sur le site, cliquez sur Incidents dans le menu à gauche)
Incidents est inspiré des neuf photographies intitulées "Comment composer un numéro de téléphone. Instructions photographiques" de la collection de la Telefónica Foundation, réalisées par Alfonso en 1926 (dont la méthode et l'esprit sont aussi repris par John Gossage). L'image photographique essaie de fonctionner, dans le cas d'Alfonso et dans ce cas, comme le mode d'emploi d'un nouvel objet technologique destiné à changer les habitudes quotidiennes, même si cet ensemble d'instructions ne nous aide pas vraiment à comprendre la logique de son fonctionnement, ou sa destination. Avec le temps, les objets technologiques semblent s'être dématérialisés, comme s'il était impossible de réparer les objets de la façon dont ils ont été fabriqués. Les objets technologiques contemporains semblent se situer hors du temps, ou bien est-ce que leur temps ne coïncide pas avec notre temps biologique.
Dans le passé, les objets technologiques avaient un impact dans la vie sociale par la réelle familiarité que nous entretenions avec eux dans le quotidien. Maintenant, au contraire, nous ne nous les assimilons plus qu'en tant que ruines : quand nous parvenons à avoir prise sur eux, ils sont déjà obsolètes. Il semble que nous ne puissions pas rattraper la technologie, nous pouvons seulement l'assimiler comme une relique : nous abandonnons des objets technologiques qui sont encore nouveaux.
Quels sont les composantes de ce nouvel appareil technologique en cours de construction ? De quoi est-il fait, cet "avenir du travail", tel que l'envisage la littérature d'entreprise ? Et qu'est-ce qui sera déplacé ou éliminé, tant en ce qui concerne le passé du chantier, que ses futurs possibles ? J'ai proposé de faire une archéologie du chantier. Mon fils de neuf ans (en effet, nous parlons de son avenir ici), a ramassé des fragments de matériaux et d'objets, trouvés sur le chantier et nous les avons photographiés sur place. Ces objets trouvés peuvent provenir de ce qui était déjà sur le site avant que le chantier commence, ou bien être des fragments des matériaux du nouveau bâtiment, des restes et des rebus de sa fabrication. En un sens, l'enfant part en reconnaissance dans le futur qui lui sera proposé en tant qu'individu productif.
Incidents traite d'un espace et d'un temps suspendus. "Avant" et "après" se chevauchent, passé du lieu et futur du bâtiment : Qu'y aura t-il ici quand le bâtiment finalement s'effondrera ? Les images tentent de rendre visible cet état de suspension, elles cherchent à lui donner une forme en reliant ces objets apparemment aléatoires, comme trouvés par hasard. À l'arrière-plan, les structures à moitié construites renvoient au futur bâtiment, tout comme une ruine renvoie à un bâtiment qui s'est déjà effondré. Déplacement, construction et ruine, mélangées, incompréhensibles. (traduction fg et pp)


Installation de Incidents à la Fundación Telefónica, Madrid, Sept 2007

mercredi 28 mars 2012

Le journal du photographe

La planche contact. Trente-six prises de vues, six bandes de six photographies prises les unes à la suite des autres sur une même bobine. On les lit de gauche à droite comme un texte. C'est le journal du photographe. On voit ce qu'il voit à travers le viseur, ses hésitations, ses ratages , ses choix. Il choisit un moment, un angle, un autre moment, un autre angle. Il insiste, il arrête. On voit rarement les contacts d'un photographe, on voit seulement la photo choisie, on ne voit pas l'avant ni l'après comme c'est le cas sur la planche contact. Une photo est prise au cent vingt-cinquième de seconde. Que connaissait-on du travail du photographe ? Une centaine de photos, peut-être cent vingt-cinq, c'est une oeuvre, ça fait en tout ... une seconde. Peut-être 250 photos, ce serait déjà une oeuvre conséquente et cela ferait... deux secondes. La vie d'un photographe, même d'un grand photographe comme il disent : deux secondes.

William Klein

cliquez sur l'image pour l'agrandir

Georges Pierre, L'Année dernière à Marienbad de Alain Resnais, 1960 / René Burri, Che Guevara, Havana, 1963 / Diane Arbus, Child with a Toy Hand Grenad in Central Park, 1962

David Burnett, reportage sur Bob Marley, 1976

lundi 5 mars 2012

Photomicrographiez vos passions


minez ne do ne mi pas pas vos rats

vos passionnantes rations de rats de pas


pas passe passio minez pas


minez pas vos passions vos


vos rationnants ragoûts de rats dévo


dévorez-les dévo dédo do domi


dominez pas cet a cet avant-goût


de ragoût de pas de passe de


passi de pasigraphie gra phiphie


graphie phie de phie


phiphie phéna phénakiki


phénakisti coco


phénakisticope phiphie


phopho phiphie photo do do


dominez do photo mimez phiphie


photomicrographiez vos goûts


ces poux chorégraphiques phiphie


de vos dégoûts de vos dégâts pas


pas ça passio passion de ga


coco kistico ga les dégâts pas


les pas pas passiopas passion


passion passioné né né


il est né de la né


de la néga ga de la néga


de la négation passion gra cra


crachez cra crachez sur vos nations cra

...

Ghérasim Luca, Passionnément, Le Chant de la carpe, éditions José Corti, 1986

mercredi 29 février 2012

Parler comme un livre

Boris Charmatz, Session Poster, Festival d'Avignon, 2011
Dans Parler comme un livre, Françoise Waquet étudie la place de l'oralité dans les sociétés savantes et académiques. Elle y souligne l'importance d'un dispositif comme les "Sessions poster" qui accompagnent les communications scientifiques dans les colloques. Françoise Waquet ne s'intéresse pas à l'oralité pour reproduire l'opposition entre sociétés dites primitives et soi-disant sociétés de l'écrit, mais au contraire pour évoquer le développement de l'oralité dans les sociétés savantes depuis l'invention de l'imprimerie. Elle montre que, s'il est évidemment impossible de savoir tout ce qui s'est dit, on peut néanmoins appréhender l'oralité à travers l'invention de ses formes, en étudiant les protocoles d'oralité. Elle explique que l'oralité, loin de s'être atrophiée, s'est au contraire développée depuis l'imprimerie, et que dans les cercles scientifiques, les échanges oraux sont premiers. Au XXe siècle, par exemple, le développement des sciences passe par la réinvention des protocoles d'échange entre les scientifiques, notamment par la limitation des temps d'intervention. Les scientifiques inventent alors des manières de sortir de la conférence frontale, où 200 personnes doivent écouter 12 spécialistes qui parlent successivement pendant 20 minutes, alors que seules quelques communications sont réellement intéressantes pour chacun des auditeurs... et que les moments potentiellement les plus riches sont ceux qui suivent les 20 minutes de conférence. Françoise Waquet montre en effet que c'est au cours des repas que les rencontres permettent de véritables échanges. Dans les années 1970, les scientifiques essayent donc de développer ce côté informel. Et ils inventent une forme qui est maintenant dominante lors des congrès scientifiques : la Session Poster.
Différentes "sessions posters"
Le principe d'une session poster repose sur la fabrication par chaque scientifique, d'une affiche qui résume les enjeux de sa recherche. Dans une grande salle, les visiteurs ont accès à tous les chercheurs et choisissent d'entamer le dialogue avec ceux dont les posters ont retenu leur attention. 

Boris Charmatz et les participants danseurs du dispositif de recherche intitulé Bocal se sont approprié ce protocole.
Boris Charmatz, "Je suis une école", éditions Les Prairies ordinaires, 2009

La Session Poster déploie un espace singulier : entre l'exposition (on visite une exposition de "posters"), la conférence (...sorte de mini-conférence individuelle), et une triangulation qui permet de sortir de la frontalité spectateur/artiste ou élève/professeur. Le poster tient lieu de tiers. Il peut se suffire à lui-même ou constituer une simple entrée pour un moment plus complexe d'échanges.
Picturediting, Palais des Arts, Toulouse, 2009
En 1926, Warburg prononça une conférence sur Rembrandt où les images n'étaient pas projetées une à une au cours de son argument, mais présentées ensemble, dès le départ, sur les fameux écrans de tissu noir : l'orateur parlait donc en déambulant de l'un à l'autre, comme s'il se déplaçait à l'intérieur même de son espace argumentatif. (Georges Didi-Huberman, L'Image survivante, Editions de Minuit, 2002)
Il faut repenser, avec la photographie, le poster comme forme spatiale hétérogène fonctionnant comme un support à la parole.