mercredi 25 avril 2012

Ampoules, seaux, bonbonnes et abat-jour


Photographies de Bill Culbert 
Sun Frosted Bulb, 1992 (nb 40x40 cm) - Sun Lit Bulb, 1992 (nb 40x40 cm) - The Last Incandescent Light Bulb, 2009 (glass, light bulb, box 30 x 12 cm) - Sun, Glass/Wine, 1992 (nb 40x40cm) -Vin Real, 1996 (RC-print 41 x 41 cm) - Wine Bonbonne with oak tree, 2002 (RC-print 41 x 41 cm) - Winework, 1992 (nb, épreuve unique, 183x183 cm)





La lumière est l'instrument de Bill Culbert. Son sujet et son matériaux à la fois. Source et objet. Sources de lumière et objets, ampoules, néons, soleil. Son objet théorique est-il l'abat-jour ? Lui qui renverse la perspective et articule la lumière

Photographies de Bill Culbert
Sunset I, 1990 (couleur, épreuve unique, 100x150 cm)- Wine glass with window, 2005 (RC-print 41 x 41 cm) - Wine Bonbonne, 2002 (RC-print 41 x 41 cm) - Bulb shadow I, 1975 (nb 19x19 cm) - Sunset III, 1992 (couleur, épreuve unique, 100x150 cm)

"Des récipients, des réceptacles, des brocs, des verres... La qualité réfléchissante du verre évoque un fluide. La lumière elle-même est fluide, à sa façon de glisser sur les surfaces. Mais contrairement aux liquides, elle ne subit pas la contrainte de la pesanteur... La fenêtre agit comme l'ouverture d'un diaphragmme : c'est un lieu de passage de la lumière...
A mesure que l'ombre avance, elle devient plus grande. C'est tout le contraire de ce que l'on voit quand on regarde par la fenêtre. La lumière renverse la perspective. Lorsqu'une lumière projette une image, les dimensions de celle-ci croissent avec la distance. Un jour, je me suis trouvé à une table avec une vingtaine de personnes. Peut-être même une trentaine ou une cinquantaine de chaque côté de la table. On passait un film. Il y avait donc un projecteur à un bout de la table. A l'autre bout, la lumière du projecteur agrandissait réellement l'image, alors que les gens devenaient de plus en plus petits. La lumière équilibrait le champ de vision. C'était passionnant."
Extrait de l'entretien de Bill Culbert avec Yves Abrioux dans le catalogue Entre chien et loup, frac Limousin, 1995

 Abat-jour / Seau, 1992 (9 photographies couleur, 40 x60 cm)

"Un seau est quelque chose de directionnel : il contient un liquide et il le verse. L'abat-jour qui a presque la même forme que le seau sert à articuler la lumière. A la canaliser. Je m'en suis souvent servi ; des ossatures d'abat-jour aussi. Ce sont des choses qui impliquent réellement l'espace, comme le Space Modulator de Moholy-Nagy, par exemple, ou son Space Light Machine. L'abat-jour est un modulateur d'espace. Je peux me débarrasser de la lampe et me servir de l'ossature. C'est quelque chose de très beau et qui paraît intemporel. Les abat-jour ressemblent à des vaisseaux spatiaux ; ils ont l'air d'avoir quelque chose à voir avec l'avenir. Peut-être ont-ils toujours eu cette allure. Regardez-les, prenez-les entre vos mains : cette forme conique se rattache à notre physiologie."
Extrait de l'entretien de Bill Culbert avec Yves Abrioux dans le catalogue Entre chien et loup, frac Limousin, 1995

Bill Culbert, Cascade, bidons platiques et tubes fluorescents, 1986

vendredi 6 avril 2012

Picturediting#4, Palais des arts

Picturediting#4, 22 et 23 mars 2012, avec les étudiants en photographie et en vidéo et les étudiants de l'unité danse de l'école des beaux-arts et du spectacle vivant de Toulouse.

Documents Photographiques de Léa Pagès et Julie Biesuz

Pendant deux jours Picturediting a ouvert, dans le Palais des Arts, de l'Ecole des Beaux-arts de Toulouse l'espace du montage d'images et de l'exposition à la présence des filmeurs et des danseurs. Il s'agissait de combiner le mouvement des images, leur montage et leur déplacement (du sol au mur), la pensée des photographes élaborant un espace commun, leurs gestes aussi, avec le mouvement des caméras et celui des danseurs. Tous travaillaient ensemble autour de ces objets, physiques, que sont les photographies.

Investissant le même lieu, danseurs, filmeurs et photographes ont tenté de reconfigurer l'espace investi aussi par le public. L'espace de circulation des corps et des appareils dans lequel l'attroupement des spectateurs redessinait parfois une "scène" était traversé par les mouvements d'appareils, chariots roulants, patins à roulettes, échafaudage brisant la masse compacts des visiteurs, redistribuant l'espace en constellations momentanément non hiérarchisées.

Prise de son que l'on regarde, photo que l'on écoute se dérouler, mouvement d'un corps qui dédouble une image ou s'installe sous un trépied.

C'est un ballet d'un genre nouveau qui a eu lieu là. En trois mouvements : accrochage, exposition, démontage. Avec un final somptueux qui a révélé le vide et la puissance des corps. Ce ballet était exécuté par des danseurs mais aussi par des photographes conscients, soudain, du poids réel de leurs images et par des filmeurs expérimentant toutes les façons de glisser pour exécuter un travelling.

Voilà l'enjeu, que la puissance des uns révèlent aux autres un potentiel d'action et de perception. Et réciproquement.


Les photographies de l'événement sont visibles :
sur la galerie de Léa Pagès
sur la galerie de Julie Biesuz

mercredi 4 avril 2012

Géographie concrète


Xavier Ribas, Incidents (détails), 2005
La Telefónica Foundation à passé commande, en décembre 2005, à huit photographes, d'un travail sur le futur site du nouveaux quartier général de l'entreprise, à Madrid. Le site était encore en construction.
Xavier Ribas a réalisé une série de 50 photographies : Incidents (sur le site, cliquez sur Incidents dans le menu à gauche)
Incidents est inspiré des neuf photographies intitulées "Comment composer un numéro de téléphone. Instructions photographiques" de la collection de la Telefónica Foundation, réalisées par Alfonso en 1926 (dont la méthode et l'esprit sont aussi repris par John Gossage). L'image photographique essaie de fonctionner, dans le cas d'Alfonso et dans ce cas, comme le mode d'emploi d'un nouvel objet technologique destiné à changer les habitudes quotidiennes, même si cet ensemble d'instructions ne nous aide pas vraiment à comprendre la logique de son fonctionnement, ou sa destination. Avec le temps, les objets technologiques semblent s'être dématérialisés, comme s'il était impossible de réparer les objets de la façon dont ils ont été fabriqués. Les objets technologiques contemporains semblent se situer hors du temps, ou bien est-ce que leur temps ne coïncide pas avec notre temps biologique.
Dans le passé, les objets technologiques avaient un impact dans la vie sociale par la réelle familiarité que nous entretenions avec eux dans le quotidien. Maintenant, au contraire, nous ne nous les assimilons plus qu'en tant que ruines : quand nous parvenons à avoir prise sur eux, ils sont déjà obsolètes. Il semble que nous ne puissions pas rattraper la technologie, nous pouvons seulement l'assimiler comme une relique : nous abandonnons des objets technologiques qui sont encore nouveaux.
Quels sont les composantes de ce nouvel appareil technologique en cours de construction ? De quoi est-il fait, cet "avenir du travail", tel que l'envisage la littérature d'entreprise ? Et qu'est-ce qui sera déplacé ou éliminé, tant en ce qui concerne le passé du chantier, que ses futurs possibles ? J'ai proposé de faire une archéologie du chantier. Mon fils de neuf ans (en effet, nous parlons de son avenir ici), a ramassé des fragments de matériaux et d'objets, trouvés sur le chantier et nous les avons photographiés sur place. Ces objets trouvés peuvent provenir de ce qui était déjà sur le site avant que le chantier commence, ou bien être des fragments des matériaux du nouveau bâtiment, des restes et des rebus de sa fabrication. En un sens, l'enfant part en reconnaissance dans le futur qui lui sera proposé en tant qu'individu productif.
Incidents traite d'un espace et d'un temps suspendus. "Avant" et "après" se chevauchent, passé du lieu et futur du bâtiment : Qu'y aura t-il ici quand le bâtiment finalement s'effondrera ? Les images tentent de rendre visible cet état de suspension, elles cherchent à lui donner une forme en reliant ces objets apparemment aléatoires, comme trouvés par hasard. À l'arrière-plan, les structures à moitié construites renvoient au futur bâtiment, tout comme une ruine renvoie à un bâtiment qui s'est déjà effondré. Déplacement, construction et ruine, mélangées, incompréhensibles. (traduction fg et pp)


Installation de Incidents à la Fundación Telefónica, Madrid, Sept 2007

mercredi 28 mars 2012

Le journal du photographe

La planche contact. Trente-six prises de vues, six bandes de six photographies prises les unes à la suite des autres sur une même bobine. On les lit de gauche à droite comme un texte. C'est le journal du photographe. On voit ce qu'il voit à travers le viseur, ses hésitations, ses ratages , ses choix. Il choisit un moment, un angle, un autre moment, un autre angle. Il insiste, il arrête. On voit rarement les contacts d'un photographe, on voit seulement la photo choisie, on ne voit pas l'avant ni l'après comme c'est le cas sur la planche contact. Une photo est prise au cent vingt-cinquième de seconde. Que connaissait-on du travail du photographe ? Une centaine de photos, peut-être cent vingt-cinq, c'est une oeuvre, ça fait en tout ... une seconde. Peut-être 250 photos, ce serait déjà une oeuvre conséquente et cela ferait... deux secondes. La vie d'un photographe, même d'un grand photographe comme il disent : deux secondes.

William Klein

cliquez sur l'image pour l'agrandir

Georges Pierre, L'Année dernière à Marienbad de Alain Resnais, 1960 / René Burri, Che Guevara, Havana, 1963 / Diane Arbus, Child with a Toy Hand Grenad in Central Park, 1962

David Burnett, reportage sur Bob Marley, 1976

lundi 5 mars 2012

Photomicrographiez vos passions


minez ne do ne mi pas pas vos rats

vos passionnantes rations de rats de pas


pas passe passio minez pas


minez pas vos passions vos


vos rationnants ragoûts de rats dévo


dévorez-les dévo dédo do domi


dominez pas cet a cet avant-goût


de ragoût de pas de passe de


passi de pasigraphie gra phiphie


graphie phie de phie


phiphie phéna phénakiki


phénakisti coco


phénakisticope phiphie


phopho phiphie photo do do


dominez do photo mimez phiphie


photomicrographiez vos goûts


ces poux chorégraphiques phiphie


de vos dégoûts de vos dégâts pas


pas ça passio passion de ga


coco kistico ga les dégâts pas


les pas pas passiopas passion


passion passioné né né


il est né de la né


de la néga ga de la néga


de la négation passion gra cra


crachez cra crachez sur vos nations cra

...

Ghérasim Luca, Passionnément, Le Chant de la carpe, éditions José Corti, 1986

mercredi 29 février 2012

Parler comme un livre

Boris Charmatz, Session Poster, Festival d'Avignon, 2011
Dans Parler comme un livre, Françoise Waquet étudie la place de l'oralité dans les sociétés savantes et académiques. Elle y souligne l'importance d'un dispositif comme les "Sessions poster" qui accompagnent les communications scientifiques dans les colloques. Françoise Waquet ne s'intéresse pas à l'oralité pour reproduire l'opposition entre sociétés dites primitives et soi-disant sociétés de l'écrit, mais au contraire pour évoquer le développement de l'oralité dans les sociétés savantes depuis l'invention de l'imprimerie. Elle montre que, s'il est évidemment impossible de savoir tout ce qui s'est dit, on peut néanmoins appréhender l'oralité à travers l'invention de ses formes, en étudiant les protocoles d'oralité. Elle explique que l'oralité, loin de s'être atrophiée, s'est au contraire développée depuis l'imprimerie, et que dans les cercles scientifiques, les échanges oraux sont premiers. Au XXe siècle, par exemple, le développement des sciences passe par la réinvention des protocoles d'échange entre les scientifiques, notamment par la limitation des temps d'intervention. Les scientifiques inventent alors des manières de sortir de la conférence frontale, où 200 personnes doivent écouter 12 spécialistes qui parlent successivement pendant 20 minutes, alors que seules quelques communications sont réellement intéressantes pour chacun des auditeurs... et que les moments potentiellement les plus riches sont ceux qui suivent les 20 minutes de conférence. Françoise Waquet montre en effet que c'est au cours des repas que les rencontres permettent de véritables échanges. Dans les années 1970, les scientifiques essayent donc de développer ce côté informel. Et ils inventent une forme qui est maintenant dominante lors des congrès scientifiques : la Session Poster.
Différentes "sessions posters"
Le principe d'une session poster repose sur la fabrication par chaque scientifique, d'une affiche qui résume les enjeux de sa recherche. Dans une grande salle, les visiteurs ont accès à tous les chercheurs et choisissent d'entamer le dialogue avec ceux dont les posters ont retenu leur attention. 

Boris Charmatz et les participants danseurs du dispositif de recherche intitulé Bocal se sont approprié ce protocole.
Boris Charmatz, "Je suis une école", éditions Les Prairies ordinaires, 2009

La Session Poster déploie un espace singulier : entre l'exposition (on visite une exposition de "posters"), la conférence (...sorte de mini-conférence individuelle), et une triangulation qui permet de sortir de la frontalité spectateur/artiste ou élève/professeur. Le poster tient lieu de tiers. Il peut se suffire à lui-même ou constituer une simple entrée pour un moment plus complexe d'échanges.
Picturediting, Palais des Arts, Toulouse, 2009
En 1926, Warburg prononça une conférence sur Rembrandt où les images n'étaient pas projetées une à une au cours de son argument, mais présentées ensemble, dès le départ, sur les fameux écrans de tissu noir : l'orateur parlait donc en déambulant de l'un à l'autre, comme s'il se déplaçait à l'intérieur même de son espace argumentatif. (Georges Didi-Huberman, L'Image survivante, Editions de Minuit, 2002)
Il faut repenser, avec la photographie, le poster comme forme spatiale hétérogène fonctionnant comme un support à la parole.

lundi 27 février 2012

Ciné-Photo-Vidéo Tract

Mise en place à l'Ecole des Beaux-arts de Toulouse d'une Cellule "Ciné-Photo-Vidéo" destinée à la fabrication de Ciné-Photo-Vidéo tracts.


"Le Rouge", Ciné-tract hors-série numéroté “ 1968 ”, fruit de la collaboration entre le peintre Gérard Fromanger et Jean-Luc Godard, est la version filmique d’une affiche créée par Fromanger dans le cadre des Ateliers Populaires de l’Ecole des Beaux-Arts, d’où sortirent les emblèmes les plus célèbres de Mai 68. C’est aussi une pointe visuelle, une figure d’acuité, selon l’expression de Balthazar Gracian, jésuite espagnol aimé des Situationnistes. Et puis c’est un prêté pour un rendu, une réponse somme toute courtoise et rieuse à d’autres peintres engagés, Pommereulle, Erro et Stämpfli qui, en 1967, venaient d’organiser une exposition intitulée “ la Peinture en action ”, et qui consistait non pas à montrer des tableaux mais à programmer des films de Fritz Lang, Eisenstein… et Godard."
"Les États généraux du cinéma naissent le 19 mai 1968. Ils réunissent jusqu’à 1500 personnes, professionnels ou non du cinéma, soucieuses de “ faire politiquement des films politiques ”, qui remettent en cause tous les aspects de la pratique cinématographique, production, réalisation, diffusion. Les États généraux servent de point de repère dans l’une des périodes les plus inventives formellement de l’histoire du cinéma : la propagation de ce que l’on pourrait appeler le Grand Style révolutionnaire. Inspiré des exemples soviétiques, des "Frontier Films" de Paul Strand et Leo Hurwitz, de Santiago Alvarez à Cuba ou de Fernando Solanas en Argentine, inspiré plus profondément encore par l’exemple héroïque du peuple vietnamien, un même style protestataire traverse les continents et fertilise une vague historique, les films de contre-information. Les Ciné-tracts, entreprise collective lancée par les États Généraux à l’initiative de Chris Marker, associent de nombreux protagonistes de l’avant-garde française, qu’ils soient cinéastes, peintres, photographes, acteurs ou techniciens : Jean-Luc Godard, Jean-Pierre Gorin, Alain Resnais, Philippe Garrel, Jackie Raynal, Jean-Denis Bonan, Gérard Fromanger, Jacques Loiseleux et beaucoup d’autres. Chaque ciné-tract consiste à refilmer au banc-titre et sans montage des photographies de l’actualité en France et dans le monde, pour créer un petit poème visuel sur une bobine 16mm, soit 2 minutes 44. Les laboratoires étant en grève, une dérogation est accordée pour développer quand même les films de Mai parce qu’ils sont anonymes, collectifs et immédiats.
Selon leur protocole, les ciné-tracts doivent “contester–proposer-choquer-informer-interroger-affirmer-convaincre-penser-crier-rire-dénoncer-cultiver” afin de susciter la discussion et l’action.


Jean-Luc Godard expliquait en 1969 ce qu'étaient les ciné-tracts : « Les Ciné-tracts, c’est une idée de Chris Marker. Le magnétoscope et tous ces petits films, c’était un moyen simple et peu cher de faire du cinéma politique … Et surtout l’intérêt est moins la diffusion que la fabrication. Cela a un intérêt local de travailler ensemble et de discuter. Cela fait progresser. Et puis la diffusion peut se faire dans les appartements, les réunions. On peut les échanger avec d’autres films de comités d’action voisins. Cela permet de repenser à un niveau très simple et très concret le cinéma. Cette fabrication peut faire comprendre aux gens qui font du cinéma qu’il faut travailler avec les gens qui n’en font pas, et comme la fabrication est extrêmement simple, les gens qui n’en font pas comprennent que les problèmes de cinéma sont simples en fait, et qu’ils ne sont compliqués que parce que la situation politique les complique … Je crois qu’il faut faire les films avec ceux qui les voient".
Les ciné tracts existant encore, sont aujourd'hui distribués par ISKRA, anciennement SLON.



lundi 20 février 2012

Fondcommun

quatrième : Jean-Luc Moulène et couverture : Claude Horstmann

pages 40 et 41 : Pascal Poyet et Françoise Goria

pages 26 : Fabien Lerat et page 27 : François Deck

Parution de fondcommun numéro zéro un deux.

fondcommun est un organe de presse problématique, une espèce «hors-norme» de journal — entre la revue d’artistes et le gratuit urbain.

Il se constitue de faits qui formalisent, dans l’espace de la page imprimée, des problèmes. Intempestifs, hétérogènes et partagés, actuels et anachroniques, bruts et sophistiqués, ces faits sont produits par des personnes engagées dans des processus de création — la création étant pour nous un moyen, pas un but. Ils sont choisis d’un commun accord avec la rédaction.Nous affirmons qu’in-former, c’est d’abord produire une forme. Cette forme cherche de nouveaux usages en dehors de ceux institués par les mondes de l’art, de la politique, du commerce, du spectacle, de la finance et des médias.

fondcommun veut s’immiscer dans des lieux de vie quotidienne où l’on est amené à attendre, à prendre, perdre son temps — comme les cafés, bars, les salles d’attente médicales, chez des particuliers, les espaces de lecture, les services publics et privés. Nous voulons concrétiser un réseau de diffusion, dont les protocoles sont le prêt, la consultation, la reproduction et la circulation. (Vincent Bonnet)


lire la version numérique du numéro : ici

Informer, c'est d'abord produire une forme.

samedi 18 février 2012

La Table en chantier

William Henry Fox Talbot, Breakfast Table, April 26, 1840, Fox Talbot Museum, Wiltshire, England
William Henry fox Talbot, Breakfast Table, 1840
William Henry Fox Talbot, Table Set for Tea, (photogenic drawing from a paper negative ),1839
William Henry Fox Talbot, The Breakfast Table, 1840, (photogenic drawing), Science Museum, London
La Table
"Planitude" et solidité (stabilité) 
"Planéité" et solitude (solitude et "planéité") 
Qu'elle soit horizontale, oblique ou verticale une table ou tablette est indispensable à l'inscription de sa propre qualité
 
Pas de mot en français pour la qualité de ce qui est plat ou plan (sinon platitude, employé péjorativement) 
Ni platitude 
Ni planéité 
n'existent 
(Je les forgerai donc) 
 
Francis Ponge, La Table, Editions Gallimard, 1991
 
Joseph Kosuth, One and Three Tables, 1965, + ici 
Gabriel Orozco, Sand on Table, 1992-93
Jeff Wall, An Octopus, 1990
Bill Culbert, Table Leg, 1982

Le plan d'une photographie doit être pensé comme le plan d'une table.

mardi 14 février 2012

Photographier l'étendue entière

Robert Rauschenberg - White Paintings, 1951 - Felix Gonzalez-Torres - Untitled [Passport] 1991 -

Rauschenberg a hésité entre la peinture et la photographie. L'impossibilité de mener à bien, pensait-il, deux activités essentielles en même temps l'a conduit à trancher en faveur de la peinture. Il y avait, cependant, à cela une raison majeure. S'il avait fait un autre choix, "ç'aurait été pour photographier toute l'étendue des Etats-Unis, centimètre carré après centimètre carré". devant l'incommensurable de la tâche, Rauschenberg a préféré devenir peintre. Commençant même, en peinture, par u n refus radical de l'image et de la figuration.

Youssef Ishaghpour - Rauschenberg - Editions Farrago Léo Scheer, 2003

Robert Rauschenberg - 1/2 GALS/AAPCA, 1975 - MAC Marseille - Merce Cunningham photographié par Rauschenberg

...Mais Rauschenberg est pratique. Il prend les choses comme elle sont. Il sait qu'un tableau s'accroche à un mur et pas n'importe comment, mais le haut en haut et il sait aussi que le tableau, comme lui, change (lequel des deux le plus vite ? et les pyramides changent). Si possible, par différents moyens, il pousse à la roue : trous au travers desquels on voit, derrière la toile, le mur auquel est confié le tableau ; surfaces réfléchissantes qui changent ce qu'on voit au moyen de ce qui se passe ; lumières qui s'allument et s'éteignent ; et les radios. Les tableaux blancs étaient des aéroports pour les lumières, les ombres, les particules...

John Cage - Robert Rauschenberg, Artiste, et son Oeuvre in Silence - Denoël 1970

Robert Rauschenberg - Erased de Kooning Drawing - 1953

Au contraire, la peinture moderne est envahie, assiégée par les photos et les clichés qui s'installent déjà sur la toile avant même que le peintre ait commencé son travail. En effet ce serait une erreur de croire que le peintre travaille sur une surface blanche et vierge. La surface est déjà toute entière investie virtuellement par toutes sortes de clichés avec lesquel il faudra rompre.

Gilles Deleuze - Francis Bacon, logique de la sensation - Editions de la Différence, 1981

Il faut photographier l'étendue entière.

lundi 13 février 2012

Personnages secondaires

Photographies, journal Libération
Piero della Fransceca, La Flagellation du Christ, 1455
La perspective n'a pas seulement un sens spatial et littéral (ce qui est loin est petit) mais peut aussi prendre un sens temporel et allégorique (comme le montre Lionello Venturi dans l'explication qu'il donne du tableau de Piero della Francesca : le comte d'Urbino, entouré de deux conseillers qui deviendront ses bourreaux est comparé au Christ dans la Flagellation montrée au fond du tableau ; le fond suggérant un épisode antérieur dans l'histoire.) Pascal Bonitzer propose un troisième sens à la perspective, une troisième forme d'éloignement, ni spatial, ni temporel qui est l'éloignement du divin, la marque d'une distance infranchissable qui situe le Christ à l'horizon (seulement à l'horizon) des destinées humaines (l'humain et le divin ne se partagent plus le même plan sans profondeur du tableau). L'abîme qui se creuse dans cette distance étant un abîme d'équivoques : l'abîme du sujet que sondera un siècle et demi plus tard Descartes. La conquête du monde visible par la représentation et la perspective s'accompagne de la montée de nouveaux mondes invisibles, de nouveaux enjeux de la pensée.
 
Le premier plan a changé dans les représentations actuelles et la place du commanditaire se trouve occupée par des personnages secondaires. Personnages secondaires dont Serge Daney disait que la beauté tient à ce qu'ils n'appartiennent jamais à un seul film, à un seul espace, mais existent dans d'autres histoires "compossibles". "Ils sont comme les nuages dans les plans de ciel : pas faits pour rester." Notre regard, alors, opère un travelling avant puis un travelling arrière, un va-et-vient perplexe entre la droite et la gauche de l'image, pour tenter de saisir ce que peut produire la coexistence spatiale de ces deux mondes antagonistes (la figure politique et le laveur de vitre). L'indifférence frappante que manifeste le personnage secondaire au premier plan pour la scène où il est inclus, renvoie à un hors-champ et surtout à la nature transitoire, provisoire, lacunaire de la représentation.

Tous les personnages de la photographie sont des personnages secondaires.

Pascal Bonitzer, Décadrages, éditions de l'Etoile, 1985

Serge Daney, Trafic n°2, Journal de l'an nouveau, 1992